En ce mois de janvier 2018, vous avez sûrement entendu parler de la réforme de l’entrée à l’université [1]. Cette réforme fait suite à plusieurs années de crises pour certaines universités (dont les UFR STAPS, droit, psychologie) qui connaissent un nombre toujours croissant d’inscriptions, dépassant largement leur capacité d’accueil. Alors, pour palier à la difficulté, des tirages au sort étaient opérés depuis quelques années. Mais ce système ne pouvait pas perdurer plus longtemps. Et cette réforme met fin à cette crise en instaurant la possibilité d’une sélection des étudiants bacheliers selon leurs aptitudes.
Pour illustrer cette nouvelle démarche, je prendrais l’exemple de la filière STAPS qui a listé un certains nombres d’aptitudes [2] :
- Disposer de compétences scientifiques
- Savoir mobiliser des compétences en matière d’expression écrite afin de pouvoir développer un raisonnement argumenté
- Disposer de compétences sportives
- Manifester de l’intérêt pour l’exercice de responsabilité collective, associative ou citoyenne
Et les doyens des UFR STAPS ont déjà réfléchis sur un système d’évaluations de ces pré-requis.
Cette nouvelle donne dans le paysage universitaire m’a donné envie de ressortir quelques notes de réflexions que j’ai pu compiler lors de mes enquêtes.
Dans la formation professionnelle, lorsqu’un salarié ou un demandeur d’emploi demande l’accès à la formation, elle est souvent soumise à la sélection : niveau d’étude, parcours professionnel, et parfois évaluation des pré-requis par des tests. Au-delà de la simple sélection et de manière générale, pour toute formation, un bon formateur se doit de faire une évaluation des pré-requis du groupe d’apprenants qu’il a charge de former.
Cette une phase de la formation qui est souvent négligée. Et pourtant, cette phase est souvent (si ce n’est tout le temps) nécessaire pour diverses raisons [3] :
- Vérifier que les connaissances et les compétences que doit maîtriser l’apprenant soit suffisante pour pourvoir commencer à étudier l’objet de la formation. Nous parlons alors de pré-requis. Et parfois sélectionner les candidats à la formation.
- Aider le formateur à disposer la personne selon sa situation, ses possibilités et ses aptitudes dans le bon groupe d’apprenants, construire des groupes d’apprenants homogènes. Nous parlons alors de différents niveaux de pré-acquis et de distribution des personnes en fonction de ceux-ci.
- Reconnaître et considérer les différentes faces d’un groupe d’apprenants et examiner comment adapter la pédagogie et réussir à atteindre l’objectif. Le formateur peut alors faire ce que l’on appelle une pédagogie différentiée en fonction des groupes et de leur particularité.
Un exemple au sein d’une association …
Lors d’une mission au sein d’une association, je devais comprendre les difficultés auxquels les bénévoles étaient confrontés dans leurs actions d’enseignement de la Langue Française. La première phase de cette mission fut don de prendre mes équipements d’enquêteur favori – Un bloc note et un crayon – et de m’asseoir aux tables de formations et d’observer.
Durant une de ces observations, une bénévole faisait un cours sur du vocabulaire autour du voyage en train : le train, les rails, le quai, les horaires, le billet, les trajets, etc. Elle avait, par ailleurs, donner des feuilles polycopiées représentant tous les éléments de vocabulaire (image des lieux, photo d’un billet, textes) et quelques petits exercices. Cette bénévole poussait chacun des participants à répéter les mots, échanger des anecdotes sur les voyages en train, à répondre aux exercices oralement.
Cependant, il y avait un apprenant qui ne quittait pas sa feuille des yeux et n’interagissait plus. Cette feuille semblait être un refuge, une sorte de rempart de protection. Toute son attitude de retrait et d’évitement des regards semblait dire : « Tant que je lis, tant que l’ont me voit occupé, on ne viendra pas me chercher, on ne me posera pas de question, je suis cette feuille et plus personne ne me voit. »
Cette observation me poussa à interpeller la bénévole pour comprendre la situation. Celle-ci me révéla qu’elle ne savait pas comment agir avec cette personne en particulier, qu’elle faisait tous les efforts pour aider chacun des participants à s’exprimer et à progresser, mais ses efforts ne parvenaient pas à sortir cette personne de son isolement. Elle finit par faire la conclusion que c’était peut-être l’apprenant qui n’avait pas la motivation nécessaire pour faire l’effort d’avancer.
… à la recherche des causes réelles
J’entreprends alors d’analyser plus finement la situation en demandant si cette personne connaît des difficultés personnelles particulières, difficultés médicales, difficultés à échanger avec les autres. Non, non et non, c’est d’ailleurs une vraie pipelette en dehors des cours, elle a même un bon niveau à l’oral, elle saurait faire des phrases structurées, seul le vocabulaire lui manquerait un peu.
« D’accords, ok, mais pour la lecture, quelle son niveau de lecture ? – Ah oui, ça c’est plus problématique, elle a du mal à lire, alors que le reste du groupe est plutôt bon en lecture. »
Un écart de niveau de lecture avec les autres ! Voilà le nœud du problème ! Cette personne en perte de confiance quand à sa capacité à lire n’osait pas montrer aux autres ses difficultés. Toute son attitude montrait d’ailleurs de la fuite, une peur de ne pas être à la hauteur, d’éviter toutes les interactions qui demandaient de lire.
D’autres groupes de niveau existe au sein de l’Association, dont des groupes où l’oral ne pose pas de soucis, mais la lecture demande un travail particulier. Le changement de groupe a eu un effet presque immédiat sur cette personne qui retrouva un comportement témoignant une confiance retrouvée. Mais cette situation aurait pu être évitée par une bonne évaluation des pré-acquis de celle-ci
Pourtant, il existait un test d’évaluation à l’entrée dans les formations de cette association, mais mal adapté au public et aux différents groupes de niveau de l’Association, il ne permettait pas de faire une bonne distribution des étudiants dans les différents groupes, et ne permettait pas une analyse fine des situations qui se présentent à l’Association.
Conclusion
En somme, une évaluation des pré-requis, permet de collecter des données sur les apprenants et de les sélectionner. Mais pas seulement ! Lorsqu’un organisme de formation, quel qu’il soit, recueille parfois beaucoup données sur ses futurs apprenants, il est dommage de voir que celles-ci ne sont pas forcément adéquates et de remplir toutes les fonctions que devrait remplir une évaluation. Quitte à faire une sélection, autant exploité les données jusqu’au bout et permettre aux formateurs ou enseignants de mieux anticiper les besoins public.
Encore faut-il trouver les bons indicateurs d’évaluations et construire les bons outils d’évaluation qui permettront une exploitation fiable de ces données. Mais cela… c’est pour un autre épisode !
Bibliographie
[1] Projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-193.html
[2] Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. (2017). Eléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence.
[3]Bloom, B.S., Hastings, J.T., Madaus, F.G. (1971) Handbook on Formative and Summative Evaluation of Student Learning. McGraw-Hill Book Company.